Du petit-coin aux grandes disparités : l’inégalité des toilettes dans l’espace public

-
Mélaine

Les inégalités et disparités entre hommes et femmes, valides et non valides, jeunes et moins jeunes n’ont pas seulement lieu au travail ou dans la sphère publique telle qu’elle est médiatisée. Elles ont aussi lieu dans l’intimité de chacun : aux toilettes. Et si nos petits-coins étaient révélateurs de nos disparités en France ? Zoom sur les toilettes publiques, révélatrices de l'évolution de nos conditions de vie à travers la société. Si l'on considère l'espace public comme un ensemble d'espaces ouverts à tous sans restriction, pourquoi parle-t-on d'inégalités et de disparités ?

« À mesure que l'Occident s'équipait en termes de toilettes dans les logements privés, on a déséquipé l'espace public »[1]

.

Des territoires mal desservis

C’est par là que tout commence : par le nombre de toilettes publiques en France. Il en existe environ 14 000 soit une toilette pour 4 700 habitants. Pas énorme, n’est-ce pas ? Alors quand on sait que Paris est l’une des villes championnes en matière de nombre de toilettes publiques avec 1 toilette pour 7 500 habitants, que celles-ci sont utilisées par 15 millions d’usagers par an, on se demande où sont les autres … Visiblement, pas dans ¾ des 35 000 communes françaises qui elles, ne proposent aucune toilette. Pour saisir l'ampleur de l'inégalité, voici quelques chiffres qui méritent réflexion : à Rennes, on compte un sanitaire pour 2 300 habitants, tandis qu'à Marseille, il y en a moins d’un pour 23 000 personnes. On comprend mieux pourquoi 66 % des Français considèrent l'accès aux toilettes publiques « difficile » [2] .

.

Des disparités hommes/femmes

Ce n’est pas une légende : les hommes et les femmes ne sont pas égaux face à leur envie d’aller au petit coin. Et même si le nombre de toilettes semble plus ou moins égal ou, tout du moins, que nous avons des toilettes mixtes, c’est surtout le temps qui y est passé qui n’est pas égal.

En effet, les femmes passeraient en moyenne 2,3 fois plus de temps aux toilettes que les hommes. Et contrairement aux idées reçues, ce n’est pas parce qu’elles bavardent entre elles. Non. C’est simplement qu’aller aux toilettes pour un homme n’est pas la même chose que pour la femme qui, elle, doit s’asseoir, retirer son pantalon et parfois, changer sa protection hygiénique.

Les files d’attente parfois interminables pour accéder aux toilettes de ces dames, l’hygiène douteuse des WC ou encore leur inexistence poussent de nombreuses personnes à se retenir, à éviter de s'hydrater ou de manger en suffisance de crainte d’être prises au dépourvu. Nombreuses femmes retardent au maximum le changement de leur protection hygiénique (pouvant provoquer des chocs toxiques). En somme, vous l'aurez compris : il ne s’agit plus d’un simple problème de toilettes. Mais de santé publique.

.

Les personnes souffrant de maladies chroniques et/ou de handicaps

10 millions. C’est le nombre de français qui souffrent de problèmes digestifs. Autant de personnes pour qui l’accès aux espaces publics peut vite devenir un parcours du combattant. La maladie de Crohn [3] , par exemple, est l’une des plus contraignantes puisqu’elle oblige les personnes qui en souffrent à aller, lors de poussées actives, parfois jusqu’à 20 fois par jour aux toilettes. Leur permettre cet accès, c’est leur permettre d’être dans la sphère publique, pleinement et sans contrainte.

.

Des toilettes publiques pour des professionnels de plus en plus mobiles

À l’heure où il est évident que notre société, notre mode de vie, et même nos emplois nous conduisent à être de plus en plus mobiles, nous ne pouvons plus nous contenter du nombre de toilettes publiques créées dans les années 90. Les inégalités entre ceux qui travaillent dans un bureau fixe et ceux qui exercent des métiers mobiles existent. Alors que la réglementation des WC en entreprise est plutôt bien respectée, les chauffeurs de bus, de taxi, les facteurs, les livreurs, les VTC, les forains … Sont tout autant de professions qui n’ont pas accès à des toilettes privées et qui, s’ils veulent se soulager (rappelons qu’il est conseillé d’aller aux toilettes toutes les 3 heures)4 n’ont pas la possibilité de le faire.

.

Les toilettes publiques, la dignité et l’espace public

Les sans-abris sont invisibilisés par notre société. Invisibilisés au point d’en oublier leurs besoins les plus primaires dont celui d’aller aux toilettes. Et pourtant, ce droit est fondamental. Sans toilettes publiques, ils n’ont d’autre choix que de faire leurs besoins en extérieur, en se cachant et en ayant honte. Parler d’hygiène n’est pas seulement une question de santé publique. C’est aussi parler de bien-être, de propreté et d’inclusion à la société. Pour regagner confiance en soi, pour ne pas se sentir exclu, il s’agit d’un besoin fondamental. Les toilettes publiques ont été décriées et supprimées au nom de la salubrité et de la morale, alors qu’elles répondent à un besoin naturel ignoré ou moqué. Et ce sont des lieux qui doivent être gratuits, propres et sécurisés, afin que les besoins les plus élémentaires soient respectés en toute dignité.

.

Une question d’argent ? Oui, mais …

Alors non, installer des toilettes, ce n’est pas gratuit. Et le nerf de la guerre, est bien connu. Sauf qu’une étude, menée par le cabinet McKinsey pour l’ONG WaterAid met en évidence qu’à l’échelle internationale, « un dollar investi en rapporte cinq » car « Il est vrai qu’investir en ce domaine signifie moins de dépenses, moins en frais de santé, d’hospitalisation, de jours non travaillés, plus en gains de productivité, etc. Une étude de 2008 montre qu’un assainissement convenable pour tous coûterait 95 milliards de dollars mais permettrait d’en économiser 660. Rien donc de plus rationnel que d’investir dans les toilettes ! Un dollar investi en rapporte cinq. La bataille ne sera toutefois gagnée que si on limite le gaspillage d’eau et d’énergie. »

.

BubblesMapper, la mobilité sereine et durable

Pour l’instant, l’accès aux toilettes publiques n’est pas le même pour tous. Et pourtant, du travailleur au sans-abris, de la jeune fille à la femme plus âgée, du parent qui doit changer son enfant à la femme enceinte qui ne peut pas arpenter des kilomètres pour aller aux toilettes, du joggeur à la personne en situation de handicap, le « petit-coin » reste une grande affaire, pour tous. Il appartient à chacun de parler du sujet, sans honte ni tabou. De le mettre en lumière plutôt que de le plonger dans l’ombre. C'est l'une des missions que se donne BubblesMapper, communauté d'entraide donnant accès aux lieux de confort de partenaires publics et privés.